Colloque organisé par le laboratoire BABEL (EA 2649 -
Université de Toulon) et le Centre d’Étude et de Recherche sur l’Europe
Classique (CEREC - EA 4593 CLARE - Université Bordeaux Montaigne).
Bordeaux, 26-27-28 novembre 2014
Le récit de voyage, sous ses multiples formes, structures et
contenus, a depuis longtemps conquis une place de premier plan parmi les objets
qu’étudie la recherche littéraire. Qu’il soit fait par le voyageur lui-même ou
bien par un tiers ayant recueilli son témoignage, il implique toujours une
subjectivité engagée, de manière volontaire ou forcée, dans la découverte d’un
ailleurs et d’une altérité qui le surprennent et l’effraient, ou l’attirent et
le séduisent. Grâce à la dynamique qui lui est propre, le voyage ne peut se
conclure par un strict retour au point de départ, comme si l’itinérant n’avait
jamais quitté l’état de stase, tout simplement parce que le déplacement
implique nécessairement une évolution, ne serait-ce que temporelle, et que la
découverte de nouveaux lieux est un facteur propice à la méditation
personnelle : elle ouvre à toutes formes possibles de cheminement
intérieur. A contrario, tout voyage intérieur n’est pas nécessairement lié à un
trajet réel ou à une mise en route physique effective.
C’est ce concept de « voyage intérieur », en lien
avec un retentissement spirituel, qu’il soit réel ou imaginaire, que notre
colloque souhaite approfondir et explorer, dans ses transpositions et ses
réalisations littéraires. La définition même de ce concept pose problème et
sera l’un des enjeux de nos réflexions : le voyage intérieur interroge nos
capacités mentales de représentation imaginaire du fait religieux dans son
ensemble, il se construit une topographie et éventuellement un lexique propres,
il peut mettre en œuvre des formes de sollicitations sensorielles ou physiques
spécifiques. Et comme toute construction mentale, il suppose aussi des temps ou
des phases de confusion, d’indétermination, voire d’errance liée à l’inconnu
qu’il explore. Enfin, qu’il s’accompagne ou non d’un déplacement géographique
réel, le voyage intérieur peut prendre diverses formes, qui toutes traduisent
d’une manière ou d’une autre la transformation psychique du voyageur, liée à
l’approfondissement de sa vie de foi, voire à sa conversion. Entre songe et
récit, entre témoignage et fiction dévote, le voyage intérieur offre donc toute
une gamme de possibles qui composent une infinité d’itinérances spirituelles.
Même lorsque l’objectif est clairement défini et les moyens de
l’expérimentation méthodiquement mis en place, le trajet composé est rarement
linéaire : les divagations de l’esprit ou les interruptions liées aux
réalités extérieures (celles du corps et celle du monde) imposent
éventuellement de recommencer le voyage et de procéder par étapes. Les causes
du voyage spirituel peuvent être multiples (crise mystique, retraite volontaire
ou captivité forcée, exercice spirituel réfléchi et méthodique) et les enjeux
différents (individuels ou communautaires, pédagogiques ou édifiants,
thérapeutiques ou cathartiques), mais dans tous les cas le voyage intérieur
traduit une quête de sens, une volonté de dépassement des signes tangibles du
visible, un irrépressible besoin de percer les mystères de la Création et
d’approcher au plus près du divin.
Ce colloque s’intéressera prioritairement à la tradition
chrétienne du voyage intérieur, mais d’autres formes de spiritualité pourront
éventuellement être envisagées, dans une visée comparative. Nous interrogerons
les lieux et les images privilégiés du voyage intérieur. Nous en étudierons les
formes et les langages, ce qui nous conduira à envisager l’existence ou non
d’une topique, voire d’une poétique, du voyage spirituel. Nous interrogerons
également les rapports que l’on peut établir entre le voyage de dévotion réel
et la fiction d’itinérance dévote, spirituelle ou mystique, en nous arrêtant
par exemple sur quelques cas précis : mises en récit de pèlerinages
(Lisieux, Saint-Jacques de Compostelle), de retraites ou de crises spirituelles
(Jean-Joseph Surin, prêtre jésuite bordelais), de cas de possession ou
d’abandon de soi (de la grande affaire des possessions de Loudun aux
convulsionnaires de Saint-Médard).
Les communications porteront sur une aire géographique
étendue à l’ensemble du territoire européen (France, Espagne, Angleterre,
Italie et Allemagne notamment). L’intérêt de cette réflexion commune sur les
récits de voyages spirituels sera aussi de mettre en résonance les textes
littéraires avec d’autres champs du savoir : théologie, histoire des
religions et des mentalités, histoire du livre, histoire de la langue.
Les études pourront notamment s’organiser autour des axes
suivants :
- L’écriture du voyage intérieur : comment décrire un
cheminement intérieur, abstrait et irréel ? Quels sont la place et le rôle
du corps dans cette expérience de voyage intérieur ? Quels sont la
place et le rôle des Écritures dans la composition du récit de voyage
spirituel ? Comment se construit et se structure l’imaginaire du voyage
intérieur ? Quels en sont les lieux privilégiés, les passages
obligés ? Peut-on parler d’une poétique de l’itinérance spirituelle, mais
aussi d’une confessionnalisation de l’expérience du voyage comme du
récit ?
- Les enjeux de cette écriture : le récit de voyage
spirituel s’adresse-t-il à un public spécifique ? S’agit-il de témoigner
pour soi et pour les autres d’une vérité révélée ? S’agit-il plutôt
d’édifier le récepteur, ou de le convertir ? S’agit-il d’apaiser un
tourment intérieur persistant et obsédant ?
- Les voyages démoniaques et les voyages parodiques (récits
de séjours aux enfers, de voyages nocturnes avec le Diable, en route pour le
sabbat) : quand le Diable vient s’emparer de l’auteur-voyageur, que
devient le récit ? Être un vagant, un itinérant ou un errant, ne pas
savoir rester statique, n’est-ce pas là une caractérisation traditionnelle du
démon et non du bon chrétien ? Mais alors qu’en est-il en période de
persécution religieuse ? Comment concilier l’errance et la pratique
(communautaire comme individuelle) de la foi ?
Modalités
Les propositions de communication [un titre accompagné d’un
résumé d’une dizaine de lignes] sont à envoyer à Inès Kirschleger
(ines.kirschleger@univ-tln.fr) et Françoise Poulet
(francoise.poulet@u-bordeaux3.fr) avant le 15 mars 2014.
Comité
scientifique :
Christian Belin, Université Paul-Valéry -
Montpellier III
Marie-Madeleine Fragonard, Université Paris III -
Sorbonne Nouvelle
Pierre Ronzeaud, Université d’Aix-Marseille
Myriam Tsimbidy, Université Bordeaux Montaigne
Ruth
Whelan, National University of Ireland Maynooth
Responsable : Inès Kirschleger et Françoise Poulet
Source de l'information : Fabula